Facilitation graphique et particules élémentaires

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« Il est difficile d’attraper un chat noir dans une pièce sombre », Proverbe chinois

Le facilitateur graphique, attrapeur de mots et d’images

Il est difficile pour l’auditeur d’attraper les informations importantes pendant un débat d’idées aussi complexes que nombreuses. Or ce que l’on veut de son audience pendant une conférence ou un Forum, c’est qu’elle partage nos idées et qu’elle y adhère, ou tout du moins qu’elle s’y intéresse, que sa curiosité soit éveillée.

La capture graphique en direct, aussi appelé scribing, est un outil support pour les débats, les réunions, séminaires ou conférences. C’est un outil qui permet de visualiser par un processus spécifique les thèmes abordés, les différentes idées esquissées, les problèmes soulevés.

Le livrable est sous forme de grande fresque regroupant mots et dessins. La valeur de ce travail est de créer un visuel à partager, compréhensible et de la meilleure allure possible. Une création plus à valeur de facilitation qu’à valeur artistique.


Quelle dimension pour une fresque ?

Le facilitateur graphique pourrait être réduit à sa rapidité d’écriture : dessiner « plus vite que son ombre », le credo du facilitateur graphique ? Écrire des kilomètres de fresque pour retranscrire les débats ? Se dire « j’ai une intervention de tant d’heures en facilitation graphique, donc je vais remplir tant de mètres de fresque ».

Il faut songer que dans un débat de plusieurs heures, certains sujets peuvent se recouper (ou pas) suivant l’ordre du jour. En tout cas, il n’y a pas d’obligation à noircir la feuille au kilomètre, aussi longue dans le temps que puisse être la conférence. Les mêmes thèmes traités pourront être regroupés aux mêmes endroits de la fresque. Il n’y a pas lieu de respecter la chronologie des informations comme c’est le cas dans un compte-rendu écrit.


La performance du facilitateur graphique

C’est un exercice qui demande de la concentration de la part du facilitateur graphique, une grande écoute, et aussi une bonne forme physique pour rester debout des heures durant, tenir les feutres et tendre le bras pour balayer la feuille de haut en bas.

C’est pourquoi il est important de s’avoir s’arrêter pour écouter la conversation, éventuellement reformuler, et décider de ce que l’on écrit. Prendre un peu de recul n’empêche pas de se mettre à écrire très vite quand les propos s’y prêtent.

Mais ce qui est important, c’est bien :

  • d’être clair : apporter, au milieu de milliers de mots, la clarté avec quelques mots et des dessins.
  • d’être concis : synthétiser, c’est choisir, pour faciliter la compréhension sans se perdre dans les détails.
  • de connecter les idées : où veut-on en venir ? Comment se rejoignent les idées ?

Cela signifie donc de passer la conversation dans un filtre qui analyse, synthétise, évalue la conversation de façon à y donner un sens. Les notes ne sont pas prises au fur et à mesure. Ce qui est noté en paraphrasant est uniquement ce qui paraît essentiel ou qui donne du sens. Les idées ou thèmes ainsi notés peuvent être répartis dans la page, c’est pourquoi la prise de notes n’est pas linéaire, telle qu’on la prend en général dans un cahier, mais plutôt spatiale comme une peinture sur une toile, et répartie dans la page selon la préférence du facilitateur et la logique des débats.

En cela, un orateur très synthétique qui annonce les différents points abordés lors de la suite des débats est une manne pour le facilitateur graphique qui saura déjà comment anticiper sa mise en page. Cela vaut pour un débat assez long.

Dans le cas où les exposés n’ont pas de liens a priori les uns avec les autres, j’aime utiliser à ce moment là un carton par locuteur, ou bien attribuer à chacun une zone bien définie dans la feuille.

Éthique et capture graphique

Les facilitateurs graphiques ne sont pas des illustrateurs, ni des artistes. Ils sont tout d’abord là pour donner à voir les idées qui émergent. Ils ne travaillent pas sur un texte déjà édité. Ils alimentent leur dessin à partir du débat en direct, et permettent que les conversations se prolongent. Ainsi, le groupe, le public, ou les participants, seront plus à même de créer de nouvelles connections.

C’est un exercice intellectuel épuisant, et lorsque j’ai fini ma fresque, j’ai le sentiment d’avoir vaincu le Mont San Petrone (tout de même pas l’Everest ou l’Annapurna, faut pas exagérer). Et je pourrais volontiers m’exclamer tel ce moine copiste penché au-dessus de son ouvrage en vélin et épuisé par son labeur : « J’ai fini, pour l’amour du ciel donnez-moi à boire » (Leila Avrin, Scribes, Script and books : The Book Arts from Antiquity to the Renaissance).

J’ai réussi à emprisonner la mémoire sur le papier, en déroulant du texte et des images comme sur un parchemin, à l’aide d’outils et tout un matériel spécifique pour fixer ou supporter les planches de carton. Quant à mon support papier, il tient plus du rouleau de papyrus des égyptiens que du Codex. Il est facilement transportable et peut-être conservé en rouleau sur une étagère ou dans un seau à la verticale.

Quel que soit le support de la fresque, papier ou carton, j’y annoterais bien en marge cette déclaration monastique concernant le Scriptorium (salle de monastère réservée aux copistes) : « Daigne bénir, Seigneur, ce lieu de travail de Tes serviteurs afin qu’ils saisissent le sens de ce qui y sera écrit, et qu’ils mènent à bien leur tâche » (George Haven Putman, Books and their Makers During the Middle Ages). Une compréhension suivie d’un engagement, qui, s’il n’avait pas d’importance dans les monastères, (et alors que le moine copiste devait être suffisamment soumis pour ne pas avoir envie de modifier un texte) résume assez l’essence de ces fresques synthétiques et imagées d'aujourd’hui. Comprendre ce qui se dit pour le retranscrire au plus juste.

Cicéron ou d’autres philosophes retranscrivaient des échanges sur des questions artistiques, scientifiques, éthiques et philosophiques, non pas sous leur forme réelle, mais des « versions idéalisées de conversations ayant eu lieu dans des endroits comme la Villa d’Herculanum » (Quattrocento, Stephen Greenblatt).

Ainsi vont ces fresques, comme une autre version des conversations, dialogues et débats, s’appliquant à créer une voie originale, « non pas en s’abîmant dans la prose des grands maîtres, mais en l’assimilant » (Quattrocento, S.G., p.142). Assimiler et comprendre, pour restituer autrement.

De la même manière, alors que « pour prouver son utilité, l’entreprise humaniste ne devait donc pas se contenter d’engendrer des copies passables du style classique, mais viser un objectif éthique plus vaste » (Quattrocento, S.G.), nous retrouvons cet objectif dans le sketchnote, avec cette volonté de compréhension des enjeux, thèmes et idées, discutés par des acteurs impliqués, ce souhait de prolonger, faire partager et perpétuer les conversations dans un but de transmettre le savoir à travers une autre voie que le compte-rendu écrit.


Une image mémorable

Aussi sur ces fresques voit-on apparaître des sortes de semences de choses parlées, qui se retrouvent là, couchées sur le papier. Elles y sont pour être redistribuées, pour être vues et lues. Elles sont un passage transitoire pour perpétuer l’événement. Elles sont les particules élémentaires d’un discours : une matière, et du vide.

Pourquoi cet artifice visuel ne pourrait-il entrer dans une salle de conférence ou de débats ? Ce langage original participe bien à la grandeur des débats. Il peut attirer le public, retenir les participants, faire qu’ils s’attardent un peu plus, par la curiosité de voir à quoi l’œuvre ressemblera une fois achevée. C’est une interprétation créative, une vision novatrice, un plaisir pour les yeux.