Dessin et alphabet, un apport pour la facilitation graphique

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Dessin réalisé en Septembre 2018 pour les 6èmes rencontres du Progrès Médical du Snitem à l'Institut Pasteur : "Le numérique en santé, révolution ou évolution?"

Enfant, je dessinais beaucoup.

J’ai eu ma période de lettres anthropomorphiques : je m’amusais à dessiner tout un alphabet en personnages, avec leurs accessoires. Je les tordais pour leur donner la forme du « O », je les allongeais et les contorsionnais à la manière des alphabets de Daumier.

Les artistes et autres typographes jouent depuis longtemps avec le lettrage. J’ai chez moi quelques livres sur l’enluminure qui témoignent de cette pratique. Dans ce cas, l’initiale d'un texte prend la forme d’un animal fantastique ou est habillée de fleurs et autres ornements.

Car les lettres ont d’abord été des images. « Alphabet » est formé à partir des lettres hébraïques « Aleph » et « Beth » qui représentent le taureau (ou le bœuf) et la maison. Le taureau, symbole de vigueur et d’énergie, dont l’image entière de l’animal (hiéroglyphes égyptiens) disparaîtra chez les phéniciens au profit du symbole seul des cornes en forme de V, posées sur un trait pour signifier le haut de la tête ; tournées tête-bêche à 180°, elles forment le A, avec le trait de la tête qui glisse vers le bas en travers des deux cornes. Ainsi est né le alpha grec, notre "A".


Le pouvoir du texte-image en Facilitation graphique et en scribing

Les « fantaisies typographiques » qui se prolongent « en une approche ludique du langage » (cf: le texte de Marianne Berissi sur le poète et écrivain du XXème siècle Michel Leiris), peuvent, j’en suis sûre, trouver leur voie dans le monde récent de la facilitation graphique, si l’on entend ce qu’en dit Rimbaud:

« L’alphabet reste toujours sagement incrusté dans le blanc de la page et s’il advient que les lettres s’animent, s’associent ou s’opposent entre elles, s’irriguent de courants divers et voient leurs droites se changer en trajectoires tendues de balles, leurs courbes en virages, leurs lignes fermées en allers et retours de boomerangs ou parcours de circuits, la faute en est seulement au spectateur affamé d’équivalences métaphoriques ou apprenti liseur – qui projette sur les caractères imprimés un flux de forces qui n’est que le sien mais suffit cependant pour donner vie à ces signes sans épaisseur enfermés dans un monde typographique où ne règnent que deux dimensions »

Ces « équivalences métaphoriques » sont le secret d’une transcription réussie, une capture délicate à isoler dans un discours, comme une cerise sur un gâteau.

Parfois, l’orateur usera d’une métaphore, qui, si elle est une clé de la démonstration, pourra être illustrée dans la fresque synthétique du facilitateur graphique et scribeur.

En tant que facilitateurs, médiateurs entre l'orateur et l'auditoire, communicants avertis et inspirés, nous pouvons user de ces équivalences pour renforcer une idée, ou l'illustrer avec humour.

Dans mes fresques synthétiques, j’ajoute parfois des jambes ou des bras à mes lettres, je les fais courir, tomber, chuter au fond d’un ravin. J’aime mettre en scène les mots.

Ainsi, j’admire les artistes qui jouent habilement avec la typographie et le sens des mots. Je vois là une piste intéressante à explorer en facilitation graphique et en scribing, un petit plus pour susciter de l’émotion et capter l’attention d’un public.

Sans compter que cette pratique est source de renouvellement créatif et d’expérimentation, un « sport » directement applicable à notre métier de facilitateur graphique.

N’oublions pas, comme le dit Jean Larcher dans cet article sur « les alphabets de l’impossible », de jouer avec les chiffres et la ponctuation qui font aussi partie de la typographie.


Penser en images

J’ai récemment trouvé ce petit bijou : Ji Lee est un graphiste qui joue avec les lettres d’un mot comme avec des personnages dans une scène de théâtre. Les lettres deviennent ses actrices, dansent et se transforment pour donner au mot tout son sens.

C’est déjà un exercice que j’admirais dans les dessins de Laurent Berman, « Le colporteur d’images » (ed. L’Attrape-Science) : « la scène se passe dans la Capitale, dont les rues sont mots de passe, où l’on pénètre grâce aux mots-clés ».

Voici bien ce que cherche à faire le facilitateur graphique : pénétrer un discours par les mots-clés, et les donner à voir à l’auditoire.

Chez le Designer graphiste New-Yorkais Ji Lee, les lettres s’animent dans de petites scénettes amusantes sonorisées :

  • « Superstitious » a treize lettres !!
  • Le A de Dali se transforme en de longues moustaches.
  • Le second G de Van Gogh, scindé en deux, ressemble à son oreille coupée…
  • Le mot « horizon » voit ses « o » bien ronds comme des soleils, se lever au chant du coq ou disparaître derrière une ligne imaginaire.
  • « Elevator » est suggéré par le « v » pour la descente, et le « A » (sans barre horizontale) pour signifier la montée.
  • Le mot « Gravity » s’effondre au sol.
  • « Vampire » trempe dans le sang les dents de son « M » à l’envers.
  • « Voyeur » a dans son « o » le « y » comme un sexe de femme.
  • Les « o » de « Balloons » s’envolent au vent.
  • Le « S » de « Tsunami » devient une vague gigantesque.
  • Le « E » de « Zipper » est une fermeture éclair.
  • Le « O » de « Clock » est un cadrant de montre.
  • Le « P » de pirate se remplit de noir et bascule à l’horizontal pour devenir un cache-œil.
  • J’adore Spiderman, son « M » en « W » qui descend dans le mot par un fil d’araignée.
  • Le « x » de « Exit » prend ses jambes à son cou comme s’il y avait le feu.
  • Etc.


Le lettrage, un assistant efficace en synthèse visuelle

Ce lien entre le lettrage et le sens du mot est une piste sérieuse à creuser pour qui pratique la synthèse visuelle. C’est un moyen d’exprimer le sens d’un discours, l’essence d’un sujet, la moelle épinière d’un thème.

C’est aussi un moyen de s’amuser et de surprendre. C’est un exercice difficile mais divertissant, qui ne manquera pas de marquer l’auditoire. S’il est délicat de faire preuve d’une telle créativité sur le vif, rien n’interdit d’anticiper et d’y songer en amont lors de la préparation de la séance de facilitation graphique (ou de scribing), puisqu’il est entendu que pour qu’une intervention soit efficace, mieux vaut a minima se renseigner sur le sujet qui sera abordé.


Le lettrage communicant

S’intéresser à l’anatomie de la lettre est la condition sine qua non pour personnaliser son mot. En tant que facilitateurs graphiques, nous nous entraînerons à dessiner le lettrage dans toutes les tailles, majuscules, minuscules ou cursives, sur plan horizontal comme à la verticale, pour être aussi habile sur une table que sur un mur.

Connaître la lettre permet de mieux jouer avec le corps de celle-ci, afin de lui ajouter empattements, ornements, décorations, ombres, épaisseurs, et au final, des bras, des jambes, des accessoires, ou la transformer en objet, afin que « les lettres aient de la ressemblance avec les choses » selon la demande de Platon exprimée à travers Socrate (lire « La lettre et l’image », par Massin, ed. Gallimard, commentaire de Roland Barthes et préface de Raymond Queneau).


Une vision commune

Ainsi, les lettres accentuent les mots-clés, et deviennent des "mots de passe", comme le disent si bien Laurent Berman et Anne Quesemand dans leur livre cité plus haut. J’aime l’idée de ces « mots-de-passe » comme la clé vers une vision commune.

L’avantage de jouer avec les lettres à la manière de Ji Lee, c’est qu’elles peuvent rester simples, sans empattements, « sans-serif » (« grotesk », en allemand). Chez lui, pas besoin d’ornements pour extirper au mot sa « substantifique moelle ». La méthode est puriste, talentueuse et très efficace.


Le mot comme un outil d’illustration et de storytelling

Cette mise en forme du mot à travers ses lettres devient presque une illustration, et participe à la transcription du discours. Elle est le symbole d’une discussion, une animation récréative et fidèle. Elle intrigue et aide à la mémorisation par sa théâtralité. C’est un outil de narration, de storytelling.

Le facilitateur dispose de la liberté d’ajouter aux lettres toutes sortes d’accessoires ou contexte environnemental qui pourra accompagner le processus de transformation. Seul maître à bord, il décide pour ses mots s’il doit les placer dans un décor, ajouter une couleur ou tout autre objet dans le but de donner du sens.

Lors d’une restitution de projets sur l’éducation au développement durable, j’ai écrit en titre, au centre de la feuille le mot « éducation » à la verticale, des lunettes sur le nez du « D », un livre tenu dans les mains du « U », des jambes fixées au « N », qui pédalent sur la Terre, qui, en 2D est plate comme une roue de monocycle. Le complément du titre est écrit sur le pourtour de la Terre.

Ce jeu avec les lettres et les mots est un outil supplémentaire pour la carte synthétique et visuelle qui se construit. C’est un moyen de mettre en valeur un mot-clé. Le mot est transformé en image pour devenir un mot-repère.


Capture visuelle, capture de mots

La synthèse visuelle n’est pas seulement une juxtaposition de lettrages, de mots-clés et de symboles ou de pictogrammes. Elle peut s’accomplir dans une symbiose qui prend la forme de ce Tout qu’est la lettre et la signification du mot, et où ce jeu avec les lettres parfait le sens du mot et enrichit la fresque.

L’aspect visuel demeure dans le souvenir, c’est bien là l’intérêt de la facilitation graphique et du graphic recording.

Manier la typographie pour soutenir le sens d’un mot est un jeu créatif et amusant qui participe à la fresque finale, puisqu’à l’issu d’un événement, colloque, réunion ou conférence, naît une fresque originale dans son unicité.